mardi 9 mai 2017

Roger Bacon - Alchimiste - Conte.

Roger Bacon est un moine franciscain né en Angleterre en 1214 à Ilchester dans le comté de Somerset, élève d'Albert le grand, et alchimiste.
Non conformiste, Bacon s'attaque à toute autorité, autant à celle de l'Eglise, qu'à celle des philosophes, tels qu'Aristote...
C'est un grand expérimentateur scientifique ; et à cette époque, il ne trouve rien de mieux que d'entrer dans les ordres, pour continuer l'étude...
Pour Bacon, « aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l'expérience »
On a retrouvé dans ses écrits, des considérations étonnantes relatives à des voitures sans chevaux, des machines volantes, des bateaux pouvant naviguer sous l'eau...etc

Le maître général des Franciscains, Jérôme d'Ascoli (qui sera le pape Nicolas IV en 1288), le condamne vers novembre 1277 et interdit son œuvre chez les franciscains. Il fait de la prison entre 1277 et 1279 et meurt à Oxford le 11 juin 1294.
De 1295 à 1310, la législation des franciscains interdit les livres d'alchimie et de magie...

Les visiteurs de Bacon racontent qu'il vit dans un véritable capharnaüm, même si le vieux savant déniche avec rapidité l'ouvrage désiré parmi l'amoncellement des volumes ouverts...
Il est si vif et si précis dans ses gestes qu'il parait se livrer à quelque tour de passe-passe, et cela n'a fait qu'alimenter les rumeurs relatives à ses travaux et à ses pouvoirs qui se sont répandues dans les milieux savants, d'Oxford à Paris et jusqu'à Bologne
Bien qu'il soit franciscain, et de ce fait peu suspect de se livrer à des œuvres impies, la rumeur l'accuse de sorcellerie. On prétend même que le roi lui-même aurait assisté à des opérations magiques, et on en précisait les circonstances...

Un jour, alors que Bacon travaillait dans son laboratoire, on avait frappé à sa porte, et il avait vu entrer un jeune homme ayant fort bon air, dont le surcot s'ornait du blason des Plantagenêt et dont les chaussures aux extrémités ridiculement pointues sacrifiaient à la mode du temps.
Le messager avait jeté un regard dédaigneux sur la pièce encombrée qui sentait le renfermé, puis il avait annoncé sèchement à Bacon que le roi Edouard, se trouvant en visite chez un gentilhomme du voisinage, désirait assister à une démonstration des pouvoirs du savant moine.
Celui-ci ne pouvait que déférer au désir royal, mais il dit au page avant que celui-ci ne sorte: «Je partirai d'ici après vous, mais j'arriverai deux heures avant. »
Comme la distance à parcourir était d'une bonne lieue et que la paisible mule du moine ne pouvait se mesurer au fringant destrier du messager, le jeune homme eut un haussement d'épaules.
« Autre choser, ajouta Bacon avec un sourire malicieux. Je peux vous dire le nom de la jeune fille avec qui vous avez passé la nuit. Mais je le ferai un peu plus tard ».

Le messager répliqua que tous les savants étaient des menteurs et il se retira. Bacon sourit, prononça une formule magique, et en un laps de temps très bref il se présenta au château ou résidait le roi.
Celui-ci l'accueillit aimablement, vanta son savoir et lui demanda un aperçu de ses pouvoirs de magicien. Tout d'abord Bacon se récusa avec modestie, disant qu'il y en avait de plus puissants que lui. Puis il se déclara prêt, en humble sujet du roi, à lui apporter la preuve de ses modestes talents.
Il tira une baguette de coudrier des replis de ses vêtements. Le roi, la reine, les seigneurs et les dames de la cour firent cercle autour de lui pour le voir opérer.
Bacon leva sa baguette. Des pierres des murs et des dalles du sol, de la trame des tapisseries et des poutres du plafond parut irradier une mélodie envoûtante tenant du cantique, de l'aubade et de la sérénade, une cascade de sons harmonieux qui étaient un enchantement pour l'oreille et dont l'harmonie ravissait le cœur. C'était un écho de la musique des sphères, du chant émanant des astres dans leur course immuable. Il remplissait l'espace. Les murmures s'étaient tus.

Tout le monde avait fait silence, Puis le son diminua d'intensité, et Bacon dit : « Ceci était pour l'agrément de l'ouïe de Vos Seigneuries. Voici à présent pour les autres sens. » Il leva de nouveau sa baguette.
La musique changea de caractère et prit le rythme allègre propre aux danses villageoises.
Cinq personnages apparurent au centre de la salle, d'abord évanescents comme des ombres, puis de plus en plus nets. Quand ils furent entièrement matérialisés, ils formaient un contraste frappant d' un bouffon de cour et une blanchisseuse dansèrent une gigue, tandis qu'un bossu portant la calotte et la robe noires de l'usurier se mit à agacer l'assistance.
Un valet sortit du néant, un sourire sarcastique aux lèvres, ses chausses faisant des plis sur ses jambes maigres. Il repoussa l'usurier vers un gros chevalier portant moustache et d'une élégance voyante.
Cependant, l'apparence des danseurs se modifia peu à peu. Ils perdirent leur air arrogant, vaniteux et grotesque, leurs corps se redressèrent, et la maladresse de leur maintien se changea en élégance et en agilité Ils se mirent à virevolter, sauter comme des dauphins joueurs, légers comme des oiseaux sillonnant la nue. Finalement, toujours dansant, ils se fondirent en une colonne de fumée qui se dissipa rapidement.
Ils avaient rejoint les sphères éthérées, fuyant notre monde sublunaire. Mais la mystérieuse musique continua de dérouler ses arpèges. Les courtisans étaient toujours en transe, figés comme des statues, les chiens de la meute royale restaient tranquilles et silencieux, et les faucons immobiles sur leurs perchoirs. Sur une fenêtre, un papillon, les ailes accolées, ne bougeait mie.
Bacon leva sa baguette une nouvelle fois, et voilà que surgit du sol une grande table à tréteaux chargée de fruits délicieux, pêches et grenades, fraises, abricots et framboises.
Le moine brandit derechef sa baguette, suscitant un arc-en-ciel de parfums rares, qui se mêlèrent aux accords musicaux pour composer un savant bouquet de senteurs mélodieuses.
Puis le magicien paracheva cette symphonie de sons, de saveurs et d'odeurs en créant une illusion s'adressant au sens du toucher, se frayant un chemin à travers la foule des courtisans fascinés, apparut un groupe de marchands de Moscovie et du Cathay portant des monceaux de fourrures précieuses - hermine, zibeline et renard.

Finalement, Bacon rangea sa baguette dans les plis de son ample vêtement et attendit. Les pelletiers sortirent, les fruits tremblèrent, s'estompèrent et disparurent. Les parfums se dissipèrent, et la musique se réduisit à une seule note qui résonna comme le frêle écho d'une cloche d'argent.
Le roi et son entourage parurent s'éveiller d'un songe. Les lévriers se mirent sur leurs pattes en gémissant. Les faucons s'agitèrent sur leurs perchoirs, faisant tinter les minuscules clochettes fixées à leurs pattes. Sur la fenêtre, le papillon s'envola.
A ce moment, le messager du roi pénétra dans la grand'salle en trébuchant et dans un triste état. Il était crotté jusqu'aux oreilles, son beau surcot tout déchiré et trempé, et ses élégantes chaussures pointues couvertes de boue. Son cheval avait soudain pris peur et l'avait emporté dans une course folle à travers tous les halliers, les bourbiers et les ruisseaux de la contrée, et il ne décolérait pas. Les dames de la cour s'écartaient précipitamment sur son passage.
Il se dirigea d'un pas furieux vers Bacon, marmottant qu'il y avait quelque diablerie là-dessous. Mais le moine lui dit calmement : « J'étais ici avant vous, comme je vous l'avais promis. Et je vous ai promis aussi de vous aider dans vos amours, n'est-il pas vrai ? » Il alla vivement vers un passage dissimulé par une tenture qu'il écarta d'un geste brusque.
Sur le seuil se tenait une fille de cuisine aux formes plantureuses, aux vêtements tachés de graisse, et toute rouge de confusion. Elle tenait à la main une louche.

La prochaine fois, veillez à ne pas traiter les savants de menteurs, fit le moine. Il s'inclina devant le roi et sortit, tandis que s'élevait une tempête de rires, que la pauvre fille s'empêtrait dans sa révérence, et que le messager balbutiait de confuses explications sur la présence en ces lieux de sa dernière et peu reluisante conquête.
Sources: Sorcières et Magiciens de Brendan Lehane

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