mardi 7 février 2017

Histoire de sorcière : La 'Loba' de Laron. -2/2-

Quand il arrive, un grand feu flambe dans l'âtre et il trouve réunies dans la chambre plusieurs habitantes du village, silencieuses et affairées,en train de faire chauffer des couvertures et de préparer une décoction de plantes dont elles espèrent que l'effet sera salutaire.
Les braves femmes l'entourent quand il entre dans la pièce où se trouve la femme alitée et lui fournissent quelques explications en prenant soin de chuchoter.
« Elle a pris froid, et elle est vieille et fragile », dit l'une d'elles en voulant repousser l'intrus vers la porte. Mais il l'écarte et s'approche du lit où gît la malade, dont le corps décharné se devine à peine sous les couvertures. Son visage livide est creusé par la souffrance et elle a les yeux fermés.
« Alors, comment vous sentez-vous, créature du diable:» demanda le ''Chasseur des collines '' à la vieille mère. Elle ne répond pas, et ses voisines s'agitent d'un air irrité autour de lui, comme des poules inquiètes protégeant quelque poussin fragile. Mais l'homme arrache les draps, dénudant le corps de la vieille femme, pour leur montrer les marques sanglantes faites par les crocs de ses chiens, et il leur raconte toute l'histoire.

Quand il a terminé, la malade prend la parole d'une voix faible et avoue le pacte qu'elle avait conclu et le mal qu'elle a fait. Elle sent venir la mort et sait que son ''maître aux pieds fourchus'' s'apprête à venir réclamer son dû.
« Il vous reste encore une voie de salut », dit le chasseur. Il la lui révèle, puis, ayant fait son devoir, il se retire. Les commères du village lui emboîtent le pas, tout effrayées, laissant seule la sorcière à l'article de la mort.

La suite de l'histoire est racontée par deux pèlerins voyageurs qui, cette nuit-là, viennent de '' La Junchéra '' en passant par Saint-Léonard, et rejoignent, précisément les terres de Roger de Laron ( nous reparlerons de cette visite…). Les deux hommes se hâtent en tenant le milieu du chemin.

« Arrêtons-nous un instant », fait soudain l'un d'eux. Ils font halte, et entendent assez loin devant eux, à travers le battement de la pluie sur le feuillage, une plainte déchirante. Et sur le sentier, parmi les ombres nocturnes, apparaît la silhouette d'une femme vêtue de noir, les cheveux trempés et maculés de sang. L'air effrayé, elle hésite un instant en parvenant à leur hauteur, scrutant leurs visages, le souffle haletant et claquant violemment des dents.
« C'est bien le chemin qui mène au cimetière de la Junchéra? », demande-t-elle enfin.
« Oui », répond l'un des deux hommes, et ils se retournent pour regarder l'inconnue qui, les ayant croisés sans ajouter un mot, se hâte péniblement en jetant de fréquents regards derrière elle. Elle arrive sur la crête d'une colline et disparaît à leurs yeux.

Impressionnés, les deux voyageurs se remettent en route d'un pas plus rapide qu'avant.
Mais, au bout d'un moment, ils font de nouveau halte sur le bord du chemin. Venant vers eux à vive allure, voici qu’apparaissent deux grands lévriers noirs. Ils paraissaient suivre une piste. Ils passent devant les deux hommes en leur accordant à peine un simple coup d’œil, et ayant suivi le chemin jusqu'au sommet de la colline, ils disparaissent à leur tour.
Avant que les voyageurs n'aient pu faire un geste, surgit un cavalier monté sur un cheval noir. Il s'arrête à leur hauteur et ils voient deux yeux de braise dans l'ombre du capuchon dissimulant ses traits, tandis que leur parvient une odeur infecte.
« Est-ce là le chemin menant au cimetière de la Junchéra, demande l'inconnu d'une voix douce."
« Oui »
« Et une femme ne vous a-t-elle pas croisés il n'y a pas longtemps ?»
«  Si. »
Le cavalier éperonne sa monture, qui repart au galop en direction de la crête.
Cette fois, les deux hommes, oubliant leur fatigue, se remettent en route en toute hâte. Ils sont trop effrayés pour parler ou pour prêter attention à quoi que ce soit.

Le cimetière de la Junchéra d'où viennent les voyageurs, est réputé dans toute la région. Il est à deux petits jours de marche, peut-être un seul à cheval, du fief de Laron …
Après Saint-Martial de Limoges, on dit que c'est la plus importante église de l'évêque, que celle de La Junchéra. Il y existe d'ailleurs une « maison des romeux » (pèlerins), aux Marmiers... Le 23 avril 1305, le pape Clément V (!) , venant de Bourges et se rendant à Bordeaux, via Grandmont, a fait halte à La Junchéra, fief de l’évêque Raynaud de La Porte.
C'est un lieu d'asile pour les vivants, comme l'est toute terre consacrée. Mais, depuis des siècles il jouit d'un singulier privilège, il constitue un refuge et une sauvegarde pour tous les morts récents. Toute âme, quelque noire qu'elle soit, qui vient de quitter son enveloppe charnelle, se trouve dans son enceinte à l'abri des griffes de Satan. C'est pourquoi – lorsque c'est possible - on y transporte directement les agonisants...

Deux heures se sont écoulées, sans que les deux hommes se soient accordé un instant de répit, quand ils entendent derrière eux le cavalier et ses lévriers...
L'inconnu s'arrête à leur hauteur et leur dit d'un ton satisfait : «  Elle était juste a la porte. Un jeu d'enfants pour les chiens. »
Jeté tel un pantin désarticulé en travers de sa selle, ses cheveux blancs traînant clans la boue, il y avait le corps de la sorcière, la ' loba', couvert de sang et l'échine brisée.
Enfin, arrivés, et avant de rejoindre le château de Laron, les voyageurs content la chose aux gens de Laron, où on les écoute avec soulagement. Si le corps leur était resté, ils auraient du l'enterrer profondément, retourné sur le ventre, de sorte que si le cadavre s'était remis à creuser comme cela arrivait parfois, il aurait foui vers le cœur de la terre et non vers l'air libre.


Le Chasseur des collines a rejoint son repaire dans la forêt. Il ne se passe plus de nuit désormais où il n'écoute siffler le vent et ne scrute les ombres se découpant sur le disque lunaire, redoutant à tout instant la vindicte des sœurs en sorcellerie de la ''loba''.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire